jeudi 18 août 2011

Tunisie : Comment sortir de l'illégitimité et de l'instabilité ?

Depuis un certain temps j’entends plusieurs acteurs de la vie politique en Tunisie demander qu’un référendum soit organisé sur des versions modifiées de la constitution tunisienne de 59 pour passer ensuite directement à des élections présidentielles.

J’aimerais dire à ceux qui tiennent et soutiennent ce discours qu’ils n’ont rien compris à la volonté du peuple tunisien. Je me permets de représenter le peuple parce que j’en suis partie intégrante et surtout parce que je défends ses intérêts et les miens. Certains semblent croire que le peuple tunisien veut reprendre un modèle existant et le reproduire à l’identique et qu’il est obligé de passer par toutes les expériences de la rive nord de la méditerranée, même si elles ont échoué.

Le peuple tunisien n’aspire pas à un système à la française, ni à l’américaine ni à la turque, mais à un modèle qui lui soit propre et qui respecte toutes ses particularités. Le point de départ ne peut être qu’une constituante qui imagine ce système pour le mettre en application.

Il ne faut pas sous-estimer les ambitions du peuple tunisien, nous sommes assez intelligents et perspicaces pour savoir ce que nous voulons et nous avons bien l’intention de réaliser nos ambitions.

J’estime que quand un homme politique parle d’élections présidentielles, c’est qu’il a déjà rédigé la constitution et décidé que les tunisiens ont choisi un régime présidentiel. Mais comment est-ce qu’un politicien peut-il croire ou penser que le peuple acceptera un régime présidentiel ?

Nous n’avons pas fait de révolution pour avoir à nouveau un président qui décide pour nous, il faut que tous les politiciens oublient cette idée et définitivement.
Nous n’avons pas non plus fait la révolution pour choisir une démocratie représentative à la française, elle est en train de prouver largement son inefficacité, en effet, le plus souvent, les parlementaires et les partis politiques finissent par se faire influencer par les lobbys et les différentes pressions qui s’exercent sur eux et par ne plus servir les intérêts du peuple.

Notre ambition est que le peuple jouisse d’une pleine souveraineté et prenne tout seul les décisions qui concernent l’avenir de ses enfants. La majorité des politiciens sur la scène actuellement semblent encore penser pouvoir mettre le peuple sous tutelle et prendre les décisions pour lui. Comble du malheur, ils nous prouvent tous les jours qu’ils en sont incapables et que toutes les décisions qu’ils prennent sont systématiquement rejetées.

Dans le cas ou nous maintenons le mode de scrutin choisi par l’Instance de Ben Achour Les élections du 23 Octobre ne changeront rien à l'instabilité actuelle ; Il est très facile de remarquer que les partis politiques actifs actuellement ne représentent qu’une partie infime de la population, et dans le cadre d’un processus électoral qui privilégie les partis politiques, nous obtiendrons une assemblée constituante qui représentera à peine 30 ou 35 % des tunisiens. Le mode de scrutin qui a été mis en place par l’Instance Ben Achour est donc dans ce cas anti-démocratique et ne peut mener qu’à une période très instable après le 23 Octobre et pendant toute la durée de la constituante.

Le mode de scrutin est encore plus anti-démocratique parce qu’il permettra à des partis qui auront eu très peu de voix de représenter quand même une frange assez large de la population, bien supérieure aux nombres de voix obtenues. (Les plus grands restes)

Il est évident que quelque soit les résultats des élections du 23 Octobre, l’assemblée constituante sera loin de représenter le peuple tunisien et sera donc boudée et controversée, ce qui prolongera l’état d’instabilité politique et sécuritaire du pays avec des risques réels que la situation dégénère gravement.

Afin d’éviter tous ces problèmes et de nous assurer que le peuple sera représenté équitablement et que la composition de la constituante ne puisse pas être contestée ni ses décisions refusées, nous devons impérativement modifier le mode de scrutin. Ce n’est pas une suggestion que je fais, c’est pour moi la seule solution pour nous assurer d’avoir rapidement un gouvernement légitime et un pays stable à tous les niveaux et donc de prendre le chemin du développement que nous avons perdu depuis si longtemps.

Le mode de scrutin qui permet d’avoir un gouvernement légitime et une assemblée constituante représentative du peuple tunisien est le suivant :

- Vote uninominal, c'est-à-dire sur les personnes et pas sur les listes.
- Les élections seront organisées à l’échelle de la délégation.
Dans chaque délégation des personnes qui y habitent présentent leur candidature à l’assemblée constituante. Les candidats peuvent être soit indépendants, soit présentés par des partis politiques, mais ils doivent impérativement faire partie des habitants de la délégation depuis un certain temps, ils seront soumis au vote de leurs concitoyens de la même délégation.

Ce mode électoral a la particularité de permettre aux citoyens de choisir les personnes qui les représenteront à l’assemblée constituante en connaissance de cause. Comme les candidats entre lesquels ils auront à choisir font partie de leur délégation, alors il sera facile pour les électeurs de choisir pour quelle personne ils vont voter puisqu’ils pourront aisément se renseigner sur leur intégrité et réputation et ainsi faire le bon choix.

Ce mode électoral permet également de donner une importance moindre à l’argent politique, en effet pour faire une campagne électorale à l’échelle d’une délégation l’argent ne compte pas trop, le candidat pourra être milliardaire, mais s’il est connu pour ne pas être honnête dans la délégation, il ne sera pas élu dans la majorité absolue des cas.

Ce mode électoral permet aussi de réduire les marges de manœuvres des lobbys et des groupements d’intérêts locaux et étrangers, en effet, si l’on considère les 264 délégations de la Tunisie avec 5 candidats pour chacune d’entre-elles, nous obtenons 1320 candidats répartis presque à égalité entre indépendants et partisans politiques. Pour les lobbys il est relativement facile d’influencer un parti politique, il suffit de trouver le moyen de toucher ses cadres dirigeants ou une partie d’entre eux, par contre il sera très difficile d’influencer des milliers de candidats indépendants et de fabriquer des victoires politiques par la manipulation et l’argent.

Enfin, le mode électoral ci-dessus permettra à toutes les régions de la Tunisie d’être représentées équitablement et de faire partie des cercles de décisions.

Ci haut, je disais que le choix de ce mode électoral n’est pas facultatif, c’est une nécessité. Excusez moi d’insister sur ce point, mais si nous voulons que le pays redevienne stable rapidement et reprenne une marche normale et inébranlable vers l’avenir, alors nous devons imposer ce mode de scrutin.

Dans un pays ou les partis politiques n’ont presque jamais joué aucun rôle dans la vie des citoyens, il est impossible de les imposer comme représentants du peuple en si peu de temps et si certains persistent à croire qu’ils arriveront à un pays stable avec des partis politiques au pouvoir qui ne représentent qu’eux-mêmes, alors ils se trompent gravement.

Pas de stabilité sans légitimité et le mode de scrutin proposé par l’instance de ben Achour ne peut mener qu’à une assemblée constituante non représentative, non légitime et donc à un pays dans une situation dangereusement instable à tous les niveaux.

Il ne s’agit pas de faire tomber le système, ni le gouvernement, mais simplement de modifier le mode de scrutin par simple décret du président, un tel décret peut être rédigé et approuvé en une dizaine de jours si la volonté y est.

Si vous avez une autre solution pour éviter que la situation ne dégénère avant ou après le 23 Octobre, je vous prie de me la communiquer, pour ma part, je pense que seule une assemblée constituante représentative du peuple et légitime est la solution. Une telle assemblée est impossible à obtenir avec le mode de scrutin actuel, nous allons donc vers des élections qui ne résoudront rien et qui n’apporteront aucune légitimité aux personnes qui seront élues. Le gouvernement sera contesté, l’assemblée constituante également et leurs décisions ne manqueront pas de se faire rejeter, nous aurons affaire à un pays aussi instable que maintenant, si ce n’est plus, ce qui ne sert pas nos intérêts.

Agissons tant que nous avons les moyens et le temps de le faire, exigeons un changement dans le mode de scrutin, ce n’est que de cette manière que nous pourrons passer le cap de la transition sans dégâts. Le mode de scrutin actuel est le problème, pas la solution, tous ceux qui croient que les élections telles qu'elles sont envisagées et planifiées actuellement sortiront le pays de la crise se trompent, ça aura comme seul effet de faire empirer la crise et ça nous mènera au chaos le plus total.